Le trail, victime de son propre succès ?
Entre fascination et agacement des montagnards
Le trail running, cette discipline qui fait vibrer des milliers de passionnés, semble aujourd'hui susciter des réactions contrastées dans les régions montagnardes. D'un côté, un public de plus en plus large se laisse séduire par la beauté des sentiers alpins ou pyrénéens, attiré par cette communion avec la nature. De l'autre, des habitants et amoureux de la montagne s'interrogent : le trail respecte-t-il vraiment ce terrain de jeu exceptionnel ou en fait-il une simple attraction touristique ?
Prenez l'exemple d'Anne, une bergère de Haute-Savoie : « J'adore que les gens découvrent les paysages ici, mais parfois, je me demande s'ils comprennent vraiment les enjeux d'une montagne vivante. » Anne parle bien sûr de ces traileurs qui débarquent en masse, souvent en été, sans toujours mesurer l'impact de leur passage. Des déchets laissés au bord des sentiers aux comportements bruyants qui dérangent la quiétude des alpages — ce qui s'annonçait comme un moment d'évasion devient parfois un sujet de frustration.
Mais est-ce si simple ? Ne peut-on pas aussi voir dans cette ferveur une forme d'admiration sincère pour la montagne ? La question reste posée, mais il semble clair qu'une partie du problème vient d'un glissement subtil mais dangereux du trail : d'activité contemplative, il est devenu pour certains un simple défi chronométré. Là où l'on cherchait autrefois le silence d'une forêt ou le ressourcement face à un lever de soleil, on trouve parfois des comportements qui trahissent une rupture avec l'esprit profond de la montagne.
Une autre image du traileur, entre débutants imprudents et ultra-concurrence
En tant que pratiquant et chroniqueur passionné, je ne peux m'empêcher d'être intrigué par l'évolution de cette discipline. De plus en plus de coureurs se lancent sur des terrains exigeants sans préparation suffisante. Il suffit de passer une journée sur les sentiers proches du Mont-Blanc pour constater cet étrange paradoxe : des sportifs en baskets flambant neuves mais visiblement perdus devant l’imprévisible météo alpine ou devant des montées qu’ils n’avaient pas anticipées.
L'autre souci vient de l'hyper-médiatisation du trail. Combien d'entre vous, chers lecteurs, ont déjà lu des récits d’ultra-marathons comme s’il s’agissait de conquêtes héroïques ? On glorifie parfois les traileurs d'élite au point qu'une fraction des amateurs cherche coûte que coûte à les imiter, oubliant les valeurs de respect et de patience propres à la montagne. Résultat : des incidents en hausse, des interventions de secours plus fréquentes, et une image du traileur qui bascule dangereusement de l'aventurier respectueux à celle du touriste imprudent, voire inconscient.
Et que dire de cette compétition qui, dans certains cas, prend le pas sur la contemplation ? Je me souviens d'une course à laquelle j'ai participé dans les Alpes. Un autre coureur, visiblement obsédé par son chrono, n'a pas pris le temps d'aider un participant en difficulté dans une descente particulièrement technique. Doit-on vraiment sacrifier l'esprit d'entraide pour quelques secondes gagnées ? Chaque traileur porte une responsabilité : celle de préserver cette communauté si spéciale, tissée d'humilité et d'émerveillement face à la puissance de la nature.
Et si l'on réapprenait à courir en harmonie avec la montagne ?
Heureusement, tout espoir n'est pas perdu. Nombreux sont encore les traileurs qui respectent profondément les milieux montagneux et leurs habitants. Mais comment réconcilier pratique sportive et préservation des espaces sauvages ?
Peut-être devrions-nous nous souvenir que chaque foulée dans la montagne est aussi une leçon d'humilité. Que ce soit lors d’une sortie en solitaire ou d'une course organisée, nous sommes des invités dans un écosystème fragile. Ramasser son propre déchet, respecter la faune, s’informer sur le terrain avant une sortie : autant de gestes simples qui, mis bout à bout, permettent de minimiser notre empreinte.
Les organisateurs de trails ont également un rôle clé à jouer : réduire les tracés qui surfréquentent les zones sensibles, limiter la taille des événements ou encore inclure les communautés locales dans les décisions. J'ai récemment participé à une course où chaque participant devait suivre un atelier d'éducation à l'environnement avant de s'élancer. Une initiative exemplaire qui pourrait servir de modèle.
Chers passionnés, souvenez-vous : la montagne ne nous appartient pas, elle se partage. Transformer sa beauté et sa richesse en une logique de conquête serait une perte immense. Et vous, quel traileur voulez-vous être ? Celui qui s'émerveille à chaque virage, ou celui qui oublie pourquoi il a commencé à courir en pleine nature ?
La question reste ouverte, mais le temps presse. Nous partageons tous la même passion, et c'est en redevenant des ambassadeurs respectueux de la montagne que nous pourrons inverser ces tendances parfois inquiétantes. Laissons nos pas légers et nos valeurs fortes tracer une nouvelle voie pour le trail running de demain.

