Le bénévolat : un pilier du trail, mais à quel prix ?
Quand on parle de trail running, on imagine immédiatement des paysages à couper le souffle, des coureurs défiant leurs limites, et des moments d’émotion partagée. Mais derrière chaque événement se cachent des centaines, parfois des milliers, de bénévoles qui œuvrent dans l’ombre. Sans eux, ces manifestations, aussi modestes que gigantesques, ne pourraient tout simplement pas exister. Pourtant, une question légitime se pose : ce modèle économique fondé essentiellement sur le travail non rémunéré est-il encore éthique, surtout lorsqu’il s’agit de compétitions générant des bénéfices importants ?
Lorsque l’on s’arrête un instant pour analyser la situation, on se rend compte que ce modèle révèle des zones de tensions. Retour sur une problématique qui bouscule les valeurs à la base du sport et interroge les principes même de justice sociale.
Un bénévolat essentiel, mais trop souvent instrumentalisé
Le bénévolat est une richesse inestimable dans le monde du trail. Les bénévoles balisent les parcours, tiennent les ravitaillements, organisent la sécurité, distribuent les dossards, et souvent, restent sur place bien après votre arrivée pour démonter ce que vous n’avez peut-être même pas remarqué. Leur investissement n’est pas qu’une aide logistique, c’est le cœur battant de ces événements.
Prenons un exemple concret : un des grands trails français affiche chaque année un taux d’inscription record, avec des participants venus du monde entier. Cet événement engendre des revenus considérables, que ce soit grâce aux droits d’inscription, aux sponsors, ou à une couverture médiatique globale. Pourtant, année après année, ce sont des bénévoles non rémunérés qui assurent la majorité des tâches, souvent dans des conditions difficiles.
Imaginons un instant une entreprise traditionnelle fonctionnant sur le même modèle. Si une société, malgré des bénéfices importants, recourait exclusivement à des travailleurs non payés, cela provoquerait sans doute un véritable scandale. Alors pourquoi est-ce perçu différemment dans le milieu du sport amateur, et notamment du trail ? La passion pourrait-elle justifier tout ?
Entre passion et dérives : la frontière délicate
Certains diront que le bénévolat incarne les valeurs les plus nobles de notre société : partage, solidarité, engagement. Et ils auront raison. Beaucoup de bénévoles s’investissent par amour du trail, pour contribuer à une cause ou pour se sentir partie prenante de quelque chose de grand. Cependant, cette passion est parfois exploitée par des systèmes qui ne jouent pas toujours la carte de la transparence ou de l’équité.
Dans un contexte économique marqué par plus de deux millions de chômeurs en France et près de 10 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, cela soulève une question : ces grandes organisations ne devraient-elles pas réinvestir une partie de leurs gains dans la création d’emplois ? Pourquoi ne pas imaginer un modèle hybride où le bénévolat coexisterait avec des postes rémunérés, notamment pour les fonctions les plus critiques ?
Pour illustrer cette idée, on peut penser à certains marathons urbains qui, avec un système mieux équilibré, emploient des coordinations professionnelles tout en impliquant des bénévoles pour des rôles plus ponctuels. Cela apporte une reconnaissance économique sans pour autant anéantir l’esprit communautaire. Et cela aligne les pratiques avec une responsabilité sociale plus solide.
Finalement, le monde du trail, avec tous ses paysages grandioses et ses valeurs humaines, ne doit pas tourner le dos à une réalité économique et sociale évidente : exploiter le bénévolat à outrance, en particulier lorsque des intérêts financiers sont en jeu, pose une question morale fondamentale. Si le trail aspire à rester un espace de valeurs authentiques, il est peut-être temps de s’interroger sur ses pratiques. Un modèle plus éthique, offrant une juste répartition des richesses, pourrait non seulement valoriser les bénévoles, mais aussi offrir des opportunités d’emploi dans un contexte déjà économiquement fragile. Le trail ne gagnerait-il pas en grandeur si ses organisateurs s’engageaient aussi sur ces terrains-là, ceux de l'équité et de la solidarité ?
