Courir pendant une chimio : quand le corps devient guide

### La course comme souffle de vie pendant la tempête
C’était en plein mois de mars, un matin encore froid malgré la promesse du printemps, que j’ai croisé Claire sur un sentier boisé en bordure de ville. Casquette vissée sur le crâne, foulée sereine, dans ses yeux brillait cette lumière rare que l’on voit chez ceux qui savent ce que signifie se battre. Claire suivait sa chimiothérapie depuis cinq semaines. « Je ne cours pas pour battre un record, tu sais », m’a-t-elle soufflé en souriant, « je cours pour me sentir encore vivante. » Je me souviens de cette phrase comme on se souvient d’un lever de soleil après une nuit d’orage.
Continuer à courir durant un traitement aussi lourd peut paraître fou. Et pourtant, pour certains patients, ce choix devient une manière de rester acteur de leur vie. Claire m’a décrit son rituel comme un moment suspendu, loin des perfusions, des lits d’hôpital, et des attentes pesantes. Sa sortie hebdomadaire – parfois courte, parfois un peu plus longue – était comme une respiration, un retour temporaire à une forme de normalité.
Mais ne nous y trompons pas : une telle démarche, si inspirante soit-elle, n’est ni simple, ni universelle. Il faut un corps qui tienne, un mental bien accroché, et surtout… un feu vert médical clair.
Une démarche personnelle, loin des injonctions
Ce que vit Claire ne peut pas devenir un modèle à appliquer au reste du monde, et elle en est la première consciente. « Mon oncologue me suit de près, on adapte à chaque fois. Certains jours, je suis éreintée. D’autres, je peux trottiner quelques kilomètres », m’a-t-elle confié. C’est cette écoute intime de son corps, doublée d’une relation de confiance avec les soignants, qui lui permet ce fragile équilibre.
Il serait dangereux, et profondément injuste, de transformer ces récits en injonctions. Tout comme il existe autant de manières de vivre la montagne qu’il y a d’âmes qui la foulent, chaque parcours face au cancer est unique. Pour beaucoup de malades, la priorité n’est pas de chausser ses baskets, mais simplement de réussir à reprendre une fourchette ou se lever du canapé sans trembler. Et cela, c’est aussi une victoire.
Dans une société où l’on valorise souvent l’endurance, la force, la combativité – autant de qualités qui résonnent puissamment avec le trail – il est crucial de ne pas imposer un modèle de performance, ni même de persévérance. Vouloir bien faire, parfois, peut devenir une pression insidieuse. Continuons d’admirer, mais n’oublions jamais d’écouter.
Entre mouvement et apaisement : le juste milieu à trouver
Le sport, même doux, peut pourtant offrir un appui mental précieux. De nombreux chercheurs s’accordent sur les bienfaits de l’activité physique adaptée pendant un traitement : elle favorise le maintien musculaire, réduit la fatigue chronique et peut même soulager l’anxiété. Mais tout est une question d’ajustement, de dosage… comme une ascension qu’il faut aborder au bon rythme pour ne pas exploser dans la pente.
Il ne s’agit pas de courir un ultra. Parfois, une marche courte en forêt, quelques étirements en musique ou une séance de renforcement léger suffisent à reconnecter le malade à son souffle, à ses sensations, à une forme de dignité. C’est là que l’on retrouve l’essence même de notre passion pour le trail : pas dans la distance, mais dans le lien entre le corps et l’esprit, dans cette présence à soi et à la nature que seule l’action, même minime, peut raviver.
Je me souviens de Lucie, une autre patiente croisée lors d’un rassemblement trail solidaire. Elle m’a confié que pendant sa chimio, elle s’inventait des "micro-trails" dans son salon, avec des pas légers tournant autour du canapé. Ce qu’elle cherchait ? Pas la sueur. Juste le mouvement, le sourire intérieur qu’il déclenche, et cette idée folle et belle que son corps, malgré tout, n’avait pas totalement déserté.
Finalement, courir pendant une chimiothérapie peut être une bouée de sauvetage… ou un poids de trop. C’est une décision intime, à prendre avec soi-même et son médecin, sans pression ni idéal à atteindre. Il y a autant de vérités que de battements de cœur. Retenons surtout ceci : le mouvement n’a pas toujours besoin d’être performance pour être puissant. Parfois, continuer à avancer signifie simplement s’autoriser à ressentir. Et si l’on écoutait davantage ces corps fragiles mais guérisseurs qui nous montrent, à leur façon, un autre sentier vers la vie ?

