Une course née d’un souffle nouveau
Il y a des courses qui marquent une vie de coureur, et d’autres qui, dès leur première édition, entrent dans la légende. C’est le cas de l’Ultra-Terrestre, tout récemment née au cœur de l’île de La Réunion, cette perle volcanique où montagnes et forêts semblent dialoguer en permanence avec le ciel. Avec ses 224 kilomètres et ses 14 000 mètres de dénivelé positif, cet ultra-trail n’est pas qu’une prouesse sportive : c’est un appel insulaire à l’exploration, une aventure hors des sentiers battus imaginée par une poignée de passionnés.
Conçue comme une diagonale extrême, cette traversée du sud sauvage de Saint-Philippe jusqu’au bouillonnant Saint-Denis, au nord, manie avec brio exigence physique, intensité mentale et quête de territoires oubliés. Il ne s’agissait pas simplement de rallonger la carte, mais d’inviter les coureurs à redécouvrir les entrailles profondes de "l’île Intense", connue pour ses reliefs capricieux et sa météo imprévisible.
L’ambition de cette première édition n’était pas de rivaliser avec le mythique Grand Raid, mais d’apporter une autre vibration, une connexion plus brute à la nature, aux racines du trail tel qu’on l’aime : pur, farouche, sans concession. L’île n’a pas proposé qu’une distance nouvelle, elle a dévoilé des sentiers secrets, des passages oubliés que seuls certains bergers ou chasseurs de tangues connaissent encore. Une expérience que peu auront la chance – ou le courage – de vivre une fois dans leur vie.
Robin et Élodie : visages d’une aventure humaine
Dans toute épopée, il faut des héros. Pour cette première aventure de l’Ultra-Terrestre, ce sont Robin Coinus et Élodie Mithridate qui ont gravé leur nom à l’encre indélébile dans l’histoire du trail réunionnais et, à bien des égards, dans la mémoire collective de notre communauté. Deux prénoms désormais légendaires, portés par des athlètes à la fois discrets et puissants, comme les volcans endormis qu’ils ont franchis.
Robin, ce n’est pas un coureur tapageur. Il court comme on raconte une histoire : avec patience, précision et cette dose d’humilité propre aux vrais amoureux de la montagne. Il ne cherche pas la lumière, mais l’émotion. Et sur ces 224 km, il a exploré beaucoup plus qu’un terrain technique. Il a traversé des douleurs, des doutes, des lumières d’aube et des ombres nocturnes. Comme un funambule sur une ligne de crête, il a avancé avec foi.
Quant à Élodie, c’est une étoile filante de la discipline qui explose au firmament du trail féminin. Elle ne court pas “contre” les autres ; elle court “avec” la montagne, avec ses sensations, ses intuitions. Sur ce parcours extrême, elle a montré que la force mentale peut soulever les sommets. Sa victoire va bien au-delà d’un podium : elle ouvre une voie, inspire, et rappelle à toutes les femmes que l’extrême n’est pas un territoire uniquement masculin.
Cette victoire n’est pas qu’une ligne d’arrivée franchie. C’est un acte fondateur. Comme le font les premiers alpinistes qui atteignent des sommets inexplorés, Robin et Élodie sont “à jamais les premiers”. Ce que cette expression, symboliquement forte, dit de leur exploit, c’est la certitude que plus personne ne pourra vivre cette édition comme eux : avec la surprise, l’inconnu total, et ce sentiment exaltant d’écrire l’histoire en courant.
L’Ultra-Terrestre, plus qu’une course : une renaissance
Il ne faut pas se tromper. Derrière cette jolie aventure, il ne s’agit pas simplement d’aligner des chronos ou de battre des records. L’Ultra-Terrestre, c’est un manifeste. Une déclaration d’amour à la nature brute, à l’engagement profond, à l’aventure vécue comme un retour à l’essentiel. Alors que nos sociétés vont de plus en plus vite, cette course rappelle doucement que la lenteur, parfois, libère.
J’y vois personnellement une forme de renaissance du trail, dans son essence même. Quand on discute avec les finishers, on réalise vite que quelque chose s’est passé là-bas, sur les crêtes, dans les ravines, ou pendant ces moments suspendus entre deux hallucinations nocturnes. Ce ne sont pas simplement des kilomètres qui se cumulent, mais des fragments de soi qui tombent sur le sentier, remplacés par une nouvelle version de ce qu’on est.
Dans la lignée d’un Tor des Géants ou d’un Barkley Marathons, l’Ultra-Terrestre refuse la facilité. Il n’est pas fait pour tout le monde – et c’est ce qui lui donne tant de valeur. Il faut accepter de se perdre un peu pour se retrouver au bout de la route. Ceux qui relèvent ce défi partagent plus qu’une performance : ils entrent dans une communauté invisible, celle des rêveurs lucides qui refusent le statu quo.
L’édition 2024 a ouvert une porte. Une faille dans le réel. Et si l’on ose franchir cette brèche, alors oui : le trail peut encore nous surprendre, et l’Ultra-Terrestre en est la preuve vivante.
Dans les pas de Robin Coinus et Élodie Mithridate s’ouvre un nouvel imaginaire : plus sauvage, plus engagé, plus terrien aussi. Ils ont montré que quand le corps fatigue, l’âme peut encore avancer. Cette course, qui marie rudesse et beauté, solitude et fraternité, est une ode à l’absolu. Et pour nous, amoureux de trail, elle nous rappelle que certains sentiers vous changent à jamais. Bravo aux organisateurs, aux finishers, aux rêveurs : vous venez peut-être d’inventer le futur du trail.

