Quand l’énergie dit plus que le chrono
Un dimanche matin, au détour d’un sentier forestier embrumé, je croise une silhouette joyeuse, le sourire fissurant un ciel maussade. Elle s’appelle Vanessa. Ce n’est pas sa cadence régulière, ni son « gear » dernier cri qui m’interpelle, mais cette énergie solaire qu’elle dégage à chaque foulée. Une magie rare, que même les montres connectées ne savent pas mesurer.
On a souvent tendance — trop souvent — à résumer le trail à des performances chiffrées, à des corps affûtés, à une quête de minceur parfois oppressante. Combien de coureurs, combien de coureuses, s’auto-censurent, n’osent pas s’inscrire à une course car « pas dans le moule », car « pas assez fit » ? Comme si la valeur d’un coureur se lisait uniquement sur sa balance.
Mais dans le monde des sentiers, ce n’est pas le poids qui propulse, c’est l’élan vital, cette petite flamme intérieure qui dit « j’avance, quoi qu’il arrive ». Vanessa m’a rappelé cette vérité simple mais profondément négligée : en trail, l’état d’esprit écrase le paraître.
Nous avons besoin d’autres visages, d’autres voix
Il est temps de parler vrai. Dans nos magazines, dans nos réseaux sociaux saturés d’images « épurées », on ne voit qu’un type d’ultra-runner : sec, rapide, presque chirurgical. Mais la beauté du trail, c’est qu’il n’impose pas un seul corps, un seul rythme, une seule histoire. Et pourtant, on continue de montrer — et parfois de glorifier — uniquement les silhouettes athlétiques, occultant totalement la richesse humaine des autres profils.
Vanessa, elle, ne rentre pas dans ces codes. Elle a une foulée joyeuse et assumée, des épaules un peu larges pour le cliché, mais elle respire l’enthousiasme, le respect de la nature, le plaisir et le lâcher-prise. Elle incarne une alchimie puissante : celle d’un corps en mouvement au service d’une âme libre.
Et cela manque cruellement à notre imaginaire collectif. Il nous faut plus de représentations comme elle, plus de récits qui parlent non pas de VO2 max mais d’émotions, de dépassement de soi au-delà des apparences, de solitude positive, de rencontres fortuites au petit matin dans la boue.
Car soyons honnêtes : ce qu’on retient d’un moment de course, ce ne sont pas les watts. Ce sont les regards échangés, les fous rires au sommet, les encouragements inattendus dans une montée raide, la soupe partagée sous une tente trempée par la pluie.
Une autre manière de courir, une autre manière d’inspirer
Je parle souvent de la vibration des pieds sur le sentier, mais on oublie de parler de la vibration intérieure. Celle qui fait qu’un simple 12 km devient une aventure inouïe. Celle qui transforme un corps « normal » en machine de bonheur. Cette vibration, ce n’est pas le résultat d’un programme d’entraînement strict. C’est le fruit d’un engagement sincère, d’une joie à être là, simplement, avec soi-même et avec les autres.
À travers Vanessa, j’ai vu un miroir, celui de ce que beaucoup d'entre nous avons perdu : la capacité à courir de manière authentique, pas pour prouver, mais pour ressentir. Ce n'est pas qu'elle n'essaie pas de faire des chronos. Mais elle choisit consciemment de mettre la barre émotionnelle avant la barre physique.
Imaginez si, lors d’un trail, le speaker à l’arrivée criait : « Voici Julie, elle termine 724e… mais elle a partagé des barres avec 4 inconnus, encouragé 23 traileurs, et chanté du Queen au ravito ! » Ce serait autre chose, non ? Peut-être un peu utopiste, mais diablement plus humain.
Alors je vous pose la question : quelles sont les personnes qui vous inspirent vraiment en trail ? Est-ce le podium, ou est-ce ce coureur croisé dans la brume, qui n’avait pas de montre… mais les yeux brillants ?
Courir en montagne, ce n’est pas subir un corps. C’est l’habiter pleinement. C’est contaminer les chemins avec notre joie. C’est faire du bitume une danse, de la pente une complicité. Et ça, qu’on pèse 50 ou 95 kilos, ça ne change rien. On ne mesure pas la beauté d’un geste à une taille de pantalon, mais à ce qu’il fait naître chez ceux qui le regardent. Alors, soyons tous des Vanessas — connectés à notre source, libérés des diktats, et prêts à allumer les sommets avec notre propre lumière.

